Diplomatie Clandestine - Fronts et frontières
par Emilio LUSSU, Joyce LUSSU

Feux Croisés, rassemble l’ouvrage d’Emilio Lussu, Diplomatie Clandestine, écrit en 1956, et celui de Joyce Lussu, Fronts et Frontières, écrit en 1945. Ces deux textes décrivent la même période, sans doute la plus noire du siècle dernier, traversée ensemble par les Lussu.
Depuis le sauvetage, d’abord à Marseille puis à Lisbonne, des membres de Giustizia e Libertà, jusqu’à l’organisation à Londres d’un débarquement en Sardaigne dans le but de reprendre l’Italie au fascisme en passant par le sauvetage du couple Modigliani, et le début de la résistance italienne, on découvrira le couple Lussu qui repensa le monde, alors en lambeaux, et qui contribua à le sauver avec une dignité rare.
Francis Pascal.
Introduction de Francis PASCAL
Postface de Philippe SAN MARCO
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À propos des auteurs
Emilio LUSSU

Emilio LUSSU
4-03-1890 5-03-1975
Emilio Lussu est né à Armungia, village du haut-Gerrei, à 11 h du matin au décours d’un orage terrible qui secoua la Barbagia. Troisième enfant, sa sœur mourra précocement, il va grandir dans son village où sa famille passe pour aisée aux yeux de Wikipédia, en fait sa tante, personne la plus riche d’Armungia, possède au total quatre quintaux de fèves sèches. Il connaîtra ainsi l’humilité de la vie en Sardaigne et apprendra d’abord les ruses du braconnage pour devenir ensuite un as de la chasse au sanglier, ayant pour maitre de chasse son propre instituteur. Son père lui offrira son premier fusil à l’âge de neuf ans.
Il fera des études secondaires chez les jésuites de Lanusei qu’il poursuivra ensuite à Rome, puis à Cagliari. Devenu bachelier, il fera des études de droit à Cagliari et recevra en même temps une formation d’officier à Turin. La préparation de la guerre contre l’empire austro-hongrois qui depuis longtemps opprime l’Italie ne lui a pas échappée, et il sera un chaud interventionniste à la faculté de droit. Peu de temps après sa thèse, il sera mobilisé sur le front d’Asiago et participera en héros à la Première Guerre mondiale. Décoré de quatre médailles militaires avec citation et trois fois blessé au cours des combats, le Capitaine Lussu devient le héros de la Brigade Sassari. Dans le même temps, il sera mis aux arrêts en forteresse pour s’être vigoureusement opposé à l’utilisation de cette même brigade Sassari contre les grévistes de la Fiat. Il sera évincé au nord de Trieste après avoir dénoncé un général de l’armée royale qui vendait, pour améliorer son ordinaire, les chevaux militaires. Lussu ne pourra retrouver la Sardaigne qu’un an après la fin de la guerre. Pendant ce temps, les bergers survivants de la Brigade Sassari, par leurs récits sur les places des villages, tisseront sa légende. Il sera élu, dès ses trente ans, à l’âge requis, député de la Sardaigne et s’engagera aussitôt contre la montée du fascisme dont il deviendra l’un des principaux opposants. Et cet engagement lui vaudra une tentative de lynchage à son domicile. Après avoir abattu le premier agresseur, dans une situation de totale légitime défense, bénéficiant de l’immunité parlementaire, il sera condamné à un an de prison suivi de la déportation à Lipari d’où il parviendra à s’évader en compagnie de Carlo Rosselli et de Fausto Nitti, infligeant ainsi un camouflet retentissant à Mussolini et dont la portée internationale s’étendra jusqu’en Amérique. À Paris, il participera à la fondation de Giustizia e Libertà qui deviendra, avec le parti communiste italien, le principal mouvement d’opposition au fascisme. Au cours de ses treize années d’exil, il écrira beaucoup, en particulier au sanatorium de Davos où il subira une thoracotomie, conséquence de la tuberculose contractée en prison.
Aux textes politiques, parus dans les cahiers de Giustizia e Libertà et à La marche sur Rome et alentour, il faut ajouter Théorie de l’insurrection » et surtout Un anno sull’altipiano, considéré comme son chef-d’œuvre. Après son retour à Paris, Le sanglier du diable, son texte d’amour pour la Sardaigne.
C’est le moment des retrouvailles avec Joyce qu’il a connue en Suisse, plusieurs années avant. Au début de la Deuxième Guerre mondiale, Marseille retrouvera Lussu, organisateur du sauvetage humanitaire des camarades de G e L, en compagnie de Joyce qui fournira gratuitement à Varian Fry plusieurs milliers de fausses cartes d’identité. C’est le thème du livre Feux croisés. Le projet d’organiser un débarquement en Sardaigne pour ensuite débarrasser l’Italie du fascisme le conduira, en compagnie de Joyce, d’abord à Lisbonne, puis à Londres avec un détour par New York, pour revenir ensuite dans la France occupée, organiser la Résistance au fascisme et sauver sur ces entrefaites le couple Modigliani.
En 43, le retour en Italie du couple Lussu les verra organiser la résistance armée contre le nazisme et le fascisme et c’est dans une Rome libérée que Giovanni Lussu naît, quand son père devient ministre du gouvernement Parri, pour devenir plus tard l’un des principaux rédacteurs de la constitution qui fera pour la première fois de l’Italie une république. C’est alors la fin de la royauté toujours prête à inviter le fascisme et c’est aussi la disparition du ghetto de Rome.
L’évolution de l’Italie, dirigée par la Démocratie chrétienne se montrant peu farouche envers les nouveaux leaders fascistes, sera une source de déception profonde pour Emilio Lussu, qui siègera au Sénat à trois reprises. Il occupera la vice-présidence des Affaires étrangères et consacrera les cinq dernières années de sa vie à la rédaction d’un texte d’une suprême importance pour lui et la traduction française est en cours, La défense manquée de Rome. Il s’éteindra le 5 mars 1975, après avoir achevé ce livre pour reposer plus tard aux côtés de Joyce, dans le cimetière laïque de Rome après que ses cendres ont été dispersées dans la mer Tyrrhénienne, comme pour rappeler à jamais que Tirreno fut l’un de ses noms dans la clandestinité avec lequel il signait ses articles dans les cahiers de Giustizia e Libertà.
Francis Pascal, mars 2025.
Ouvrages d’Emilio Lussu traduits en français :
La marche sur Rome et alentours. Trad. B. Comment, Ed. du Félin, 2009
Théorie de l’insurrection. Trad. Alice Théron, François Maspéro, 1971
Les hommes contre. Trad. E. Genevoix et J. Montfort, Denoël, 1995
Le sanglier du diable. Trad. Fr. Pascal, La fosse aux ours, 2014
La Chaine. L’évasion de Lipari. Trad. Fr. Pascal, La fosse aux ours, 2014.
Ouvrages sur Emilio Lussu en français :
Emilio Lussu. Politique, histoire, littérature et cinéma. Actes du Colloque de Grenoble, dirigé par Eric Vial, Patrizia De Capitani-Bertrand, Christophe Mileschi. Grenoble, Publications de la MSH Alpes, 2008.
Un homme contre. Emilio Lussu, antifasciste. Francis Pascal, La fosse aux ours, 2023.
Joyce LUSSU

Joyce LUSSU
8-05-1912 04-11-1998
Joyce Lussu, Gioconda Beatrice Salvadori Paleotti est née le huit mai 1912 à Florence. Sa mère Giacenti Galletti était la fille d’un colonel garibaldien et d’une noble anglaise, écrivain. Son père Guglielmo Salvadori Paleotti était un aristocrate, philosophe, originaire des Marches.
Les agressions successives de la part des fascistes, dont son frère Max, d’abord, puis son père furent victimes, conduisirent la famille à émigrer à partir de mars 1925 en Suisse, à Begnins proche de Lausanne où Joyce connaîtra une adolescence dans un milieu cosmopolite.
Parfaitement bilingue italien-anglais, elle va se perfectionner en Français et Allemand pour ensuite continuer auprès de Karl Jaspers ses études de philologie. En 1933, lors d’une visite à son frère Max, déporté dans l’île de Ponza, celui-ci lui remet un message secret destiné à Emilio Lussu, alors désigné comme Mister Mills, fondateur de Giustizia e Libertà et organisateur de la résistance en exil. Après de longues recherches, elle rencontrera Mister Mills à Genève. Le message fut remis. Ce fut, un coup de foudre immédiat et le début d’une histoire d’amour intense, à laquelle Lussu mettra fin quinze jours plus tard. Il considérait la situation d’exilé clandestin peu compatible avec une liaison amoureuse, voire dangereuse.
En mai 34, elle épousa Aldo Belluigi, un riche possédant fasciste de Tolentino et avec lui, elle s’installa au Kenya, pour faire prospérer une propriété agricole qui employait beaucoup de personnel local. Deux ans furent nécessaires pour faire faillite et alors que son mari ruiné retournait à Tolentino, elle partit seule visiter différentes régions d’Afrique.
En 38, ruinée et sans papier, elle arrivera à Marseille pour ensuite retrouver Lussu à Paris, qui lui ouvrit les bras. Ils habiteront rue de l’Estrapade et Lussu la présentera aux Modigliani et aux Trentin comme son épouse. Lussu ayant découvert qu’un homme accompagné d’une femme n’est jamais arrêté par la police, elle participera à toutes les missions de Lussu au cours de la Résistance, comme Lisbonne ou Londres, où Joyce suivra une formation aux radios clandestines et à la guérilla, puis retour clandestin à Marseille. Ensuite à Lyon, le sauvetage des Modigliani, réalisé par Joyce, quoiqu’en pensent les historiens universitaires provençaux qui bâtissent leurs propres histoires. Retour en Italie, mise en place de la résistance au fascisme et au nazisme et de l’organisation des parachutages en Italie du Nord, actions qui lui vaudront la médaille de la Résistance, onze ans plus tard !
C’est dans une Italie enfin libre qu’elle pourra développer ses talents d’écrivains, déjà repérés par Benedetto Croce, et de traductrice, en particulier de Nazim Hikmet et des poètes kurdes. Elle sera considérée comme une des fondatrices du mouvement féministe en Italie. Elle s’éteindra en 1998, après nous avoir livré une troisième version de Fronti e frontieri.
Francis Pascal, mars 2025.
Ouvrage de Joyce Lussu traduits en français :
Inventaire des choses certaines. Trad. Marc Porcu, La Passe du vent, 2015
L’homme qui voulait naître femme ;mémoires féministes sur la guerre. Trad. Chloé Pierre, La Lenteur, 2024