
Emilio LUSSU
4-03-1890 5-03-1975
Emilio Lussu est né à Armungia, village du haut-Gerrei, à 11 h du matin au décours d’un orage terrible qui secoua la Barbagia. Troisième enfant, sa sœur mourra précocement, il va grandir dans son village où sa famille passe pour aisée aux yeux de Wikipédia, en fait sa tante, personne la plus riche d’Armungia, possède au total quatre quintaux de fèves sèches. Il connaîtra ainsi l’humilité de la vie en Sardaigne et apprendra d’abord les ruses du braconnage pour devenir ensuite un as de la chasse au sanglier, ayant pour maitre de chasse son propre instituteur. Son père lui offrira son premier fusil à l’âge de neuf ans.
Il fera des études secondaires chez les jésuites de Lanusei qu’il poursuivra ensuite à Rome, puis à Cagliari. Devenu bachelier, il fera des études de droit à Cagliari et recevra en même temps une formation d’officier à Turin. La préparation de la guerre contre l’empire austro-hongrois qui depuis longtemps opprime l’Italie ne lui a pas échappée, et il sera un chaud interventionniste à la faculté de droit. Peu de temps après sa thèse, il sera mobilisé sur le front d’Asiago et participera en héros à la Première Guerre mondiale. Décoré de quatre médailles militaires avec citation et trois fois blessé au cours des combats, le Capitaine Lussu devient le héros de la Brigade Sassari. Dans le même temps, il sera mis aux arrêts en forteresse pour s’être vigoureusement opposé à l’utilisation de cette même brigade Sassari contre les grévistes de la Fiat. Il sera évincé au nord de Trieste après avoir dénoncé un général de l’armée royale qui vendait, pour améliorer son ordinaire, les chevaux militaires. Lussu ne pourra retrouver la Sardaigne qu’un an après la fin de la guerre. Pendant ce temps, les bergers survivants de la Brigade Sassari, par leurs récits sur les places des villages, tisseront sa légende. Il sera élu, dès ses trente ans, à l’âge requis, député de la Sardaigne et s’engagera aussitôt contre la montée du fascisme dont il deviendra l’un des principaux opposants. Et cet engagement lui vaudra une tentative de lynchage à son domicile. Après avoir abattu le premier agresseur, dans une situation de totale légitime défense, bénéficiant de l’immunité parlementaire, il sera condamné à un an de prison suivi de la déportation à Lipari d’où il parviendra à s’évader en compagnie de Carlo Rosselli et de Fausto Nitti, infligeant ainsi un camouflet retentissant à Mussolini et dont la portée internationale s’étendra jusqu’en Amérique. À Paris, il participera à la fondation de Giustizia e Libertà qui deviendra, avec le parti communiste italien, le principal mouvement d’opposition au fascisme. Au cours de ses treize années d’exil, il écrira beaucoup, en particulier au sanatorium de Davos où il subira une thoracotomie, conséquence de la tuberculose contractée en prison.
Aux textes politiques, parus dans les cahiers de Giustizia e Libertà et à La marche sur Rome et alentour, il faut ajouter Théorie de l’insurrection » et surtout Un anno sull’altipiano, considéré comme son chef-d’œuvre. Après son retour à Paris, Le sanglier du diable, son texte d’amour pour la Sardaigne.
C’est le moment des retrouvailles avec Joyce qu’il a connue en Suisse, plusieurs années avant. Au début de la Deuxième Guerre mondiale, Marseille retrouvera Lussu, organisateur du sauvetage humanitaire des camarades de G e L, en compagnie de Joyce qui fournira gratuitement à Varian Fry plusieurs milliers de fausses cartes d’identité. C’est le thème du livre Feux croisés. Le projet d’organiser un débarquement en Sardaigne pour ensuite débarrasser l’Italie du fascisme le conduira, en compagnie de Joyce, d’abord à Lisbonne, puis à Londres avec un détour par New York, pour revenir ensuite dans la France occupée, organiser la Résistance au fascisme et sauver sur ces entrefaites le couple Modigliani.
En 43, le retour en Italie du couple Lussu les verra organiser la résistance armée contre le nazisme et le fascisme et c’est dans une Rome libérée que Giovanni Lussu naît, quand son père devient ministre du gouvernement Parri, pour devenir plus tard l’un des principaux rédacteurs de la constitution qui fera pour la première fois de l’Italie une république. C’est alors la fin de la royauté toujours prête à inviter le fascisme et c’est aussi la disparition du ghetto de Rome.
L’évolution de l’Italie, dirigée par la Démocratie chrétienne se montrant peu farouche envers les nouveaux leaders fascistes, sera une source de déception profonde pour Emilio Lussu, qui siègera au Sénat à trois reprises. Il occupera la vice-présidence des Affaires étrangères et consacrera les cinq dernières années de sa vie à la rédaction d’un texte d’une suprême importance pour lui et la traduction française est en cours, La défense manquée de Rome. Il s’éteindra le 5 mars 1975, après avoir achevé ce livre pour reposer plus tard aux côtés de Joyce, dans le cimetière laïque de Rome après que ses cendres ont été dispersées dans la mer Tyrrhénienne, comme pour rappeler à jamais que Tirreno fut l’un de ses noms dans la clandestinité avec lequel il signait ses articles dans les cahiers de Giustizia e Libertà.
Francis Pascal, mars 2025.
Ouvrages d’Emilio Lussu traduits en français :
La marche sur Rome et alentours. Trad. B. Comment, Ed. du Félin, 2009
Théorie de l’insurrection. Trad. Alice Théron, François Maspéro, 1971
Les hommes contre. Trad. E. Genevoix et J. Montfort, Denoël, 1995
Le sanglier du diable. Trad. Fr. Pascal, La fosse aux ours, 2014
La Chaine. L’évasion de Lipari. Trad. Fr. Pascal, La fosse aux ours, 2014.
Ouvrages sur Emilio Lussu en français :
Emilio Lussu. Politique, histoire, littérature et cinéma. Actes du Colloque de Grenoble, dirigé par Eric Vial, Patrizia De Capitani-Bertrand, Christophe Mileschi. Grenoble, Publications de la MSH Alpes, 2008.
Un homme contre. Emilio Lussu, antifasciste. Francis Pascal, La fosse aux ours, 2023.